Palestine : la parole à la Résistance (1)
Ci-dessous, traduit par Tlaxcala, le premier article d’une série consacrée aux perspectives de la résistance palestinienne après le 7 octobre et au dixième mois d’une guerre asymétrique opposant des combattants défendant leur peuple à une armée d’occupation surarmée, équipée et soutenue par les puissances impériales. La stratégie génocidaire des occupants n’est pas parvenue à écraser cette résistance en 285 jours. Une fois de plus se vérifie cette vérité historique : aucune armée d’occupation ne peut écraser une armée populaire. Ni au Vietnam, ni en Algérie, ni en Afghanistan, ni en Irak, ni en Palestine. L’auteur de ces articles, Jeremy Scahill, est un journaliste américain d’investigation chevronné, qui vient de créer avec ses amis le site Drop Site News, après avoir travaillé pendant 11 ans au site The Intercept, qu’il avait créé avec Glenn Greenwald. Le mérite de ces articles est de donner la parole aux protagonistes de la résistance, une parole universellement censurée par les médias dominants. Une belle leçon de journalisme.
En direct avec le Hamas
En exclusivité pour Drop Site News, des responsables du Hamas évoquent leurs motivations, leurs objectifs politiques et le coût humain de leur soulèvement armé.
Par Jeremy Scahill, Drop Site News, le 9 juillet 2024
[Révision, notes ou ajouts entre crochets par Le Cri des Peuples]
Les neuf derniers mois de la guerre génocidaire d'Israël à Gaza ont suscité une prise de conscience mondiale sans précédent de la situation critique du peuple palestinien. Au cours des 76 années qui se sont écoulées depuis la création de l'État d'Israël et le déclenchement de la Nakba, il n'y a jamais eu de colère aussi soutenue et ouverte à l'égard d'Israël, ni de solidarité aussi répandue avec les Palestiniens. Les manifestations massives dans les villes du monde entier, la rupture des relations diplomatiques avec Tel-Aviv, le rappel des ambassadeurs, les décisions des tribunaux internationaux contre Israël et les demandes croissantes pour la création d'un État palestinien indépendant : rien de tout cela n'aurait eu lieu sans l'impulsion de l'insurrection armée du Hamas le 7 octobre et la guerre d'anéantissement d'Israël à Gaza qui s'en est suivie.
Membres des Brigades Izzedine Al Qassam. Photo : Mahmud Hams/AFP via Getty
Cette réalité pose des questions inconfortables mais inéluctables. Du point de vue du Hamas, l'opération Toufan Al-Aqsa (Déluge d’Al Aqsa) a-t-elle été un succès ? Le Hamas savait sans aucun doute que les représailles israéliennes entraîneraient la mort de nombreux civils palestiniens, même si l'ampleur effroyable de l'assaut israélien n'avait [probablement] pas été prévue. Le 7 octobre était-il donc une opération de martyre collectif lancée [avec ou] sans le consentement de 2,3 millions de Palestiniens ? Et pour les nombreuses personnes qui proclament leur soutien à la cause palestinienne mais condamnent par réflexe la violence des attaques du 7 octobre, comment peuvent-elles faire la part des choses de manière réaliste ?
Drop Site a mené une série d'entretiens avec de hauts responsables du Hamas, tout en procédant à un examen approfondi de ses déclarations et de celles de ses dirigeants. J'ai interrogé diverses sources du Hamas dans le cadre de cet article et deux d'entre elles — Basem Naim et Ghazi Hamad — ont accepté de s'exprimer publiquement. Je me suis également entretenu avec toute une série de Palestiniens, d'Israéliens et de sources internationales bien informés afin de comprendre les objectifs tactiques et politiques des attaques du 7 octobre. Certaines personnes critiqueront inévitablement le choix d'interviewer et de publier les réponses des responsables du Hamas à ces questions, les qualifiant de propagande. Je pense qu'il est essentiel que le public comprenne les perspectives des individus et des groupes qui ont lancé l'attaque qui a déclenché la guerre génocidaire d'Israël — un argument qui est rarement autorisé en dehors de la diffusion de simples extraits sonores.
Les dirigeants du Hamas ont présenté leurs opérations du 7 octobre comme une juste rébellion contre une force d'occupation qui a mené une guerre militaire, politique et économique de punition collective contre la population de Gaza. « Ils ne nous ont pas laissé d'autre choix que de prendre la décision entre nos mains et de riposter », a déclaré le Dr Basem Naïm, membre éminent du Bureau politique du Hamas et ancien ministre du gouvernement de Gaza. « Pour moi, le 7 octobre est un acte de défense, peut-être la dernière chance pour les Palestiniens de se défendre ».
Naïm, médecin, fait partie du cercle restreint qui entoure l'ancien premier ministre de Gaza, Ismaïl Haniyeh, le principal dirigeant politique du Hamas, qui est basé à Doha, au Qatar. Au lendemain du 7 octobre, Naïm a été l'un des rares responsables du Hamas autorisés à s'exprimer publiquement au nom du mouvement. Dans une interview, Naïm a défendu sans hésitation les attaques du 7 octobre contre Israël et a déclaré que le Hamas agissait par nécessité existentielle face aux assauts diplomatiques et militaires soutenus non seulement contre les Palestiniens de Gaza, mais aussi contre la Cisjordanie et Jérusalem occupées.
« Les habitants de Gaza avaient le choix entre deux possibilités : soit mourir à cause du siège, de la malnutrition, de la faim, du manque de médicaments et de traitements à l'étranger, soit mourir sous les missiles. Nous n'avons pas d'autre choix », a-t-il déclaré. « Si nous devons choisir, pourquoi choisir d'être les bonnes victimes, les victimes pacifiques ? Si nous devons mourir, nous devons mourir dans la dignité. Debout, en combattant, en ripostant, et en étant des martyrs dignes ».
Les sondages indiquent que le soutien des Palestiniens au Hamas reste fort. Avant les attaques du 7 octobre, certains sondages d'opinion à Gaza et en Cisjordanie indiquaient que le soutien au Hamas était en baisse, un sondage révélant que seulement 23 % des personnes interrogées exprimaient un soutien significatif au Hamas et que plus de la moitié d'entre elles exprimaient des opinions négatives. « La guerre du 7 octobre a inversé cette tendance, entraînant une forte hausse de la popularité du Hamas », a indiqué Arab Barometer.
Un sondage plus récent mené par le Centre palestinien de recherche sur les politiques et les enquêtes, dont les résultats ont été publiés à la mi-juin, a révélé que les deux tiers de la population de Gaza continuaient d'exprimer leur soutien à l'attaque du 7 octobre contre Israël, plus de 80% affirmant qu'elle avait placé la Palestine au centre de l'attention mondiale. Plus de la moitié des habitants de Gaza interrogés ont indiqué qu'ils espéraient que le Hamas reviendrait au pouvoir après la guerre. « Ils ont perdu confiance dans la paix avec Israël. Les gens pensent que le seul moyen est maintenant de se battre contre Israël, de lutter contre Israël », a déclaré Ghazi Hamad, ancien vice-ministre des Affaires étrangères du Hamas et membre de longue date de son Bureau politique, lors d'un entretien. « Nous avons mis la cause palestinienne sur la table. Je pense que nous avons ouvert une nouvelle page de l'histoire ».
« Israël a passé neuf mois [à combattre dans la bande de Gaza] — neuf mois. Il s'agit d'une petite zone. Pas de montagnes, pas de vallées. C'est une toute petite zone assiégée avec les 20 000 [combattants] du Hamas », a poursuivi Hamad. « Ils ont apporté toute la puissance militaire, avec le soutien des Etats-Unis. Mais je pense qu'ils ont échoué. Ils ont échoué ».
La Docteure Yara Hawari, codirectrice d'Al-Shabaka, un groupe de réflexion palestinien indépendant, a déclaré que l'évaluation du rôle joué par les attaques du 7 octobre du Hamas dans le mouvement mondial croissant de soutien aux Palestiniens soulevait des questions morales complexes. « Si le régime israélien ne s'était pas lancé dans un génocide à Gaza, serions-nous confrontés à un tel niveau de solidarité ? Je pense qu'il est difficile de répondre à cette question. C'est aussi une question inconfortable parce que je ne pense pas que les Palestiniens, où qu'ils soient, devraient payer avec leur sang la solidarité des gens du monde entier, et certainement pas avec plus de 40 000 personnes tuées », m'a-t-elle dit.
« Nous avons dépassé les chiffres de la Nakba d'au moins trois fois en termes de personnes tuées. Et une région entière a été détruite. Gaza n'existe plus. Elle a été complètement détruite. Je pense donc que ce moment a été très révélateur », a déclaré Hawari, qui est basée à Ramallah. « Si le 7 octobre n'avait pas eu lieu, cela aurait-il été révélé aux gens du monde entier ou non ? C'est une chose inconfortable à laquelle il faut penser, c'est certain ».
Le Hamas a souligné que son objectif, le 7 octobre, était de briser le statu quo et d'obliger les Etats-Unis et d'autres pays à s'occuper du sort des Palestiniens. Sur ce plan, les analystes avisés estiment qu'ils ont réussi. « Le 6 octobre, la Palestine avait disparu de l'agenda régional et international. Israël traitait unilatéralement avec les Palestiniens sans susciter la moindre attention ni la moindre critique », a déclaré Mouin Rabbani, ancien fonctionnaire de l'ONU qui a travaillé comme conseiller spécial sur Israël-Palestine pour l'International Crisis Group. « Les attaques du Hamas du 7 octobre et leurs conséquences ont joué un rôle crucial, mais je pense que le ‘mérite’ en revient tout autant à Israël, si ce n'est plus’, a-t-il ajouté. « Si Israël avait réagi comme il l'a fait lors des assauts précédents contre Gaza, en 2008, 2014 et 2021, cela aurait fait la une pendant quelques semaines, il y aurait eu beaucoup d'agitation, et on serait resté là ».
« Ce ne sont pas seulement les actions du colonisé, mais aussi la réaction du colonisateur qui a créé la réalité politique actuelle, le moment politique actuel », a ajouté Rabbani.
Les responsables américains et israéliens répondent souvent aux questions concernant le nombre effarant de morts à Gaza ou les massacres de femmes et d'enfants au cours des neuf derniers mois en rejetant la responsabilité sur le seul Hamas. Ils traitent les événements du 7 octobre comme s'ils accordaient à Israël un permis illimité de tuer à grande échelle.
Voir notre traduction de nombreux articles remettant en cause la version officielle des événements du 7 octobre, initialement ignorés ou dénigrés par les médias mainstream complices comme complotistes, mais qui sont finalement parvenus à un journal comme L’Humanité (avec plus d'un mois de retard) :
L'hypocrisie de l'Occident face à Gaza brisant ses chaînes est écœurante (8 octobre)
De nombreux civils ont été tués par l'armée israélienne, affirme une survivante d'un kibboutz (17 octobre)
'Massacres du Hamas' : que s'est-il réellement passé le 7 octobre ? (25 octobre)
Massacres du Hamas, 'tirs amis' israéliens ou directive Hannibal ? La vérité sur le 7 octobre (18 novembre)
Le Secrétaire d'État Antony Blinken aime à répéter : « Aucune de ces souffrances n'aurait eu lieu si le Hamas n'avait pas fait ce qu'il a fait le 7 octobre ».
C'est manifestement faux. Mais la brutalité de l'occupation israélienne pendant plusieurs décennies exonère-t-elle le Hamas de toute responsabilité quant aux conséquences de ses actes du 7 octobre ?
« Ces morts devraient être sur la conscience des dirigeants israéliens qui ont décidé de tuer tous ces gens », a déclaré Rashid Khalidi, auteur de The Hundred Years' War on Palestine et largement considéré comme le principal historien de la Palestine aux Etats-Unis. « Mais ils devraient aussi, dans une certaine mesure, peser sur la conscience des personnes qui ont organisé l'opération [du 7 octobre]. Ils auraient dû savoir, et devaient savoir, qu'Israël infligerait une vengeance dévastatrice non seulement à eux, mais aussi et surtout à la population civile. Les créditez-vous de cela ? Le résultat final pourrait être l'occupation permanente, l'extermination et peut-être même l'expulsion de la population de Gaza, auquel cas je ne pense pas que qui que ce soit veuille accorder du crédit à ceux qui ont organisé cette opération. » [imputer à la Résistance la responsabilité, même partielle, des représailles de l'occupation est particulièrement lâche et ignoble ; quant au résultat ultime du 7 octobre, ce sera tout simplement la Libération de la Palestine]
La romancière et auteure américano-palestinienne Susan Abulhawa s'est rendue deux fois à Gaza depuis le début du siège à l'automne dernier et a défendu sans hésitation la résistance armée palestinienne. Elle rejette l'idée que le Hamas est responsable des massacres de civils perpétrés par Israël à Gaza depuis le 7 octobre. « C'est un peu comme si l'on disait à ceux qui ont participé à l’insurrection du ghetto de Varsovie qu'ils auraient dû savoir que l'armée allemande allait réagir comme elle l'a fait et qu'ils étaient responsables de la mort des autres habitants du ghetto de Varsovie », a Mme Abulhawa. « C'est peut-être vrai, mais est-ce vraiment une point de vue moral à faire valoir ? Je ne pense pas qu'il y ait jamais eu autant d'attention portée à un peuple indigène, à la façon dont il résiste à ses colonisateurs ».
Abulhawa, auteure notamment des romans Against the Loveless World [Contre le monde dénué d'amour] et Mornings in Jenin [Matins à Jénine], m'a dit : « En tant que Palestinienne, je leur suis reconnaissante. Je pense que ce qu'ils ont fait est quelque chose qu'aucune négociation n'a jamais pu réaliser. Rien de ce que nous avons fait n'a pu aboutir à ce qu'ils ont obtenu avec le 7 octobre. Et je devrais dire qu'en fait, ce n'est pas tant ce qu'ils ont fait, mais c'est la réaction d'Israël qui a conduit à un changement dans le récit parce qu’Israël est enfin nu devant le monde ».
Les hommes dans les tunnels
Les 76 dernières années de l'histoire palestinienne ont été une succession ininterrompue d'atrocités et de crimes de guerre israéliens. Pourquoi le Hamas a-t-il lancé une action aussi monumentale à ce moment précis ?
Les personnes qui peuvent le mieux répondre à la question de savoir à quoi pensait le Hamas le 7 octobre sont les hommes qui se trouvent dans les tunnels, pourchassés par les forces israéliennes à Gaza. Yahya Sinwar, le chef du Hamas sur le terrain, et Mohammed Deif, le commandant des Brigades Izzedine Al Qassam, sont largement considérés comme étant ceux qui ont décidé quand et comment le cours de l'histoire allait être modifié.
Dans les médias israéliens et américains, Sinwar est généralement dépeint comme un méchant de BD tapi dans son repaire souterrain, en train d’imaginer des moyens d'assassiner et de terroriser des Israéliens innocents dans le cadre d'une interprétation déformée de l'islam, à la manière de Daech. Il est désigné comme terroriste par le département d'État américain depuis 2015. « Les Etats-Unis doivent avoir un croquemitaine, un personnage à la Saddam Hussein, un Hitler », dit Khalidi. « Je pense que c’est Sinwar qu’ils ont choisi ».
En dépit de ces portraits sinistres, les écrits de Sinwar et les interviews qu'il a accordées aux médias indiquent qu'il s'agit d'un penseur subtil dont les objectifs politiques sont clairement définis et qui considère la lutte armée comme un moyen d'arriver à ses fins. Il donne l'impression d'être un militant politique bien éduqué, et non un chef de secte en croisade pour le suicide collectif. « Ce n'est pas cette image noire de Sinwar comme un homme avec deux cornes vivant dans les tunnels », dit Hamad, le responsable du Hamas qui a travaillé directement avec Sinwar pendant trois ans. « Mais en temps de guerre, il est très fort. Cet homme est très fort. Quand il veut se battre, il le fait sérieusement ».
En 1988, quelques mois seulement après la création du Hamas, Sinwar a été arrêté par les forces israéliennes et condamné à quatre peines de prison à vie pour avoir personnellement assassiné des collabos palestiniens présumés. Pendant les 22 années qu'il a passées dans une prison israélienne, il a appris à parler couramment l'hébreu et a étudié l'histoire de l'État israélien, sa culture politique et son appareil militaire et de renseignement. Il a traduit à la main les mémoires de plusieurs anciens responsables de l'agence de renseignement israélienne Shin Bet. « Quand je suis entré [en prison], c'était en 1988, la guerre froide était toujours en cours. Et ici [en Palestine], l'Intifada. Pour diffuser les dernières nouvelles, nous imprimions des tracts. Je suis sorti et j'ai découvert Internet », a raconté Sinwar à un journaliste italien en 2018. « Mais pour être honnête, je ne suis jamais sorti — je n'ai fait que changer de prison. Et malgré tout, l'ancienne était bien meilleure que celle-ci. J'avais de l'eau, de l'électricité. J'avais tant de livres. Gaza est beaucoup plus dure ».
Yahya Sinwar, chef du Hamas à Gaza, interviewé par Vice News en juin 2021
Dans les interviews qu'il a accordées aux médias, Sinwar a parlé du Hamas comme d'un mouvement social doté d'une aile militaire et a présenté ses objectifs politiques comme faisant partie de la lutte historique pour le rétablissement d'un État palestinien unifié. « Je suis le chef du Hamas à Gaza, de quelque chose de beaucoup plus complexe qu'une milice, un mouvement de libération nationale. Et mon principal devoir est d'agir dans l'intérêt de mon peuple : de le défendre et de défendre son droit à la liberté et à l'indépendance », a-t-il déclaré. « Tous ceux qui nous considèrent encore comme un groupe armé, et rien d'autre, n'ont pas la moindre idée de ce qu'est réellement le Hamas.... Vous vous concentrez sur la résistance, sur les moyens plutôt que sur l'objectif, qui est un État fondé sur la démocratie, le pluralisme et la coopération. Un État qui protège les droits et la liberté, où les différences sont affrontées par la parole et non par les armes. Le Hamas est bien plus que ses opérations militaires ».
Sinwar, contrairement aux dirigeants d'Al-Qaïda ou de Daech, a régulièrement invoqué le droit international et les résolutions de l'ONU, faisant preuve d'une compréhension nuancée de l'histoire des négociations avec Israël sous la médiation des Etats-Unis et d'autres pays. « Soyons clairs : avoir une résistance armée est notre droit, en vertu du droit international. Mais nous n'avons pas que des roquettes. Nous avons utilisé toute une série de moyens de résistance », a-t-il déclaré dans l'interview de 2018. « Nous ne faisons les gros titres qu'avec du sang. Et pas seulement ici. Pas de sang, pas de nouvelles. Mais le problème n'est pas notre résistance, c'est leur occupation. Sans occupation, nous n'aurions pas de roquettes. Nous n'aurions pas de pierres, de cocktails Molotov, rien. Nous aurions tous une vie normale ».
Tout au long de 2018 et 2019, Sinwar a soutenu les manifestations non violentes à grande échelle le long des murs et des clôtures de Gaza, connues sous le nom de Grande Marche du retour. « Nous pensons que si nous avions un moyen de résoudre potentiellement le conflit sans destruction, nous serions d'accord avec cela », a déclaré Sinwar lors d'une rare conférence de presse en 2018. « Nous préférerions gagner nos droits par des moyens doux et pacifiques. Mais nous comprenons que si ces droits ne nous sont pas accordés, nous avons le droit de les gagner par la résistance ».
Israël avait répondu aux manifestations par un recours régulier à la force meurtrière, tuant 223 personnes et en blessant plus de 8 000 autres. Des snipers israéliens se sont ensuite vantés d'avoir touché des dizaines de manifestants d'une balle dans le genou lors des manifestations hebdomadaires du vendredi. Pour de nombreux Palestiniens, ces événements ont renforcé l'idée que les politiques d'Israël ne peuvent être modifiées par des mots.
En mai 2021, à la suite d'une série d'attaques israéliennes contre des fidèles palestiniens à la mosquée Al-Aqsa, ainsi que de menaces d'expulsions forcées de Palestiniens de Sheikh Jarrah, dans la partie occupée de Jérusalem-Est, le Hamas et le Jihad Islamique palestinien ont lancé un tir de barrage de roquettes sur des villes israéliennes, tuant 12 civils. Le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahou, avec le soutien des Etats-Unis, a ordonné de lourdes attaques contre Gaza. Plus de 250 Palestiniens sont tués et des milliers sont blessés.
Après la fin de la campagne de bombardement israélienne de 11 jours contre Gaza, Sinwar s'est entretenu avec VICE News et a cherché à replacer la lutte palestinienne dans le contexte américain, en s'appuyant sur des cas récents de violences policières meurtrières à l'encontre d'Afro-Américains. « Le même type de racisme qui a tué George Floyd est utilisé par [Israël] contre les Palestiniens à Jérusalem, dans le quartier de Sheikh Jarrah et en Cisjordanie. Et en brûlant nos enfants. Et contre la bande de Gaza par le siège, le meurtre et la famine ».
Les attaques israéliennes ont pris fin lorsque le président Joe Biden est intervenu pour dire à M. Netanyahu de conclure. Le 19 mai, lors d'un appel téléphonique, Joe Biden a dit à Netanyahou : « Hé, mec, ça déraille. C'est terminé ». Deux jours plus tard, Israël a accepté un cessez-le-feu.
« La bataille entre nous et l'occupation qui a profané notre terre, déplacé notre peuple et qui continue d'assassiner et de déplacer des Palestiniens, de confisquer des terres et d'attaquer des lieux sacrés, est une bataille sans fin », a déclaré Sinwar. Interrogé sur l'assassinat de civils israéliens par des roquettes du Hamas, Sinwar s'est animé. « Vous ne pouvez pas comparer ça à ceux qui résistent et se défendent avec des armes qui semblent primitives en comparaison. Si nous avions les moyens de lancer des missiles de précision visant des cibles militaires, nous n'aurions pas utilisé les roquettes que nous avons utilisées », a-t-il rétorqué. « Le monde s'attend-il à ce que nous soyons des victimes bien élevées pendant que nous nous faisons tuer ? Que nous soyons massacrés sans faire de bruit ? C'est impossible ».
Deux ans et demi plus tard, Sinwar a autorisé le lancement de l'opération Déluge d’Al Aqsa, l'attaque la plus meurtrière de l'histoire à l'intérieur d'Israël.
Les responsables du Hamas m'ont dit que, pour des raisons stratégiques, ils avaient fait coïncider les attaques avec Chemini Atseret, le dernier jour de la fête d'action de grâce de Souccot, mais aussi, plus largement, pour exploiter les divisions croissantes au sein de la société israélienne et l'impopularité grandissante de Netanyahou parmi les Israéliens. Sur le plan tactique, ils ont procédé à une surveillance approfondie des installations militaires israéliennes situées le long de ce que les sionistes appellent « l'enveloppe de Gaza » et ont identifié les failles des systèmes de surveillance et des défenses du périmètre.
Tout au long des deux années qui ont précédé les attaques du 7 octobre, les responsables du Hamas ont envoyé à Israël des avertissements répétés pour qu'il mette fin aux activités des colonies illégales et aux annexions en Cisjordanie et à Jérusalem-Est. Le Hamas a également protesté contre les attaques et les provocations croissantes d'Israël dans l'enceinte de la mosquée Al Aqsa, le site islamique le plus sacré de Palestine, et a demandé aux Etats-Unis et à d'autres pays de restreindre les actions d'Israël. « Nous avons parlé aux médiateurs, en particulier aux Nations unies, aux Égyptiens et aux Qataris : “Dites à Israël d'arrêter cela. Nous ne pourrons pas en tolérer davantage” », a déclaré Hamad, qui parle l'hébreu et négocie depuis longtemps avec des responsables israéliens. « Ils ne nous ont pas écoutés. Ils pensaient que le Hamas était faible et qu'il ne cherchait plus qu'à obtenir de l'aide humanitaire et des installations dans la bande de Gaza. Mais en même temps, nous nous préparions ».
« Nous nous préparions parce que nous sommes sous occupation », dit Hamad. « Nous pensons que la Cisjordanie et Gaza forment une unité. C'est notre peuple qui subit l'oppression, les tueries et les massacres. Nous devons le sauver. Et Israël se sent au-dessus des lois. Ils peuvent faire n'importe quoi. Personne ne peut les arrêter ».
« Nous l'avons dit avant le 7 octobre : le tremblement de terre est imminent. Et les répercussions de ce tremblement de terre dépasseront les frontières de la Palestine », a dit Naïm.
Alors que le Hamas transmettait des messages par l'intermédiaire de médiateurs internationaux, il tenait en même temps des réunions secrètes régulières à Gaza, au cours desquelles ses dirigeants réfléchissaient à des moyens potentiels de faire face à Israël. « Nous avions des réunions au sein du bureau politique du Hamas à Gaza et nous discutions constamment de la situation. Ce qui a été mis sur la table, c'est une évaluation d'Israël en Cisjordanie et de la mosquée Al Aqsa », dit Hamad. « Le Hamas a décidé de faire quelque chose pour dissuader Israël. Le Hamas a également voulu envoyer un message aux masses palestiniennes : “Nous ne sommes pas faibles [comme] l'Autorité palestinienne”. »
Hamad a indiqué que les discussions ont porté sur des actions qui obligeraient le monde à prêter attention au sort des Palestiniens, mais aussi à envoyer un message à Israël. « Nous allons leur montrer que nous pouvons faire quelque chose pour vous nuire et vous blesser. Quelle est l'autre solution ? Soit nous, en tant que Palestiniens, attendons, attendons et attendons depuis de nombreuses années que certains pays, la communauté internationale, fassent quelque chose pour sauver les Palestiniens, soit nous recourons à la violence pour créer une sorte de choc, afin d'attirer l'attention du monde ».
Naïm a déclaré que le Hamas avait conclu que la politique israélienne ne pouvait être modifiée que par une résistance violente. « Je dois dire que nous lisons aussi très bien l'histoire. Nous avons tiré les leçons de l'histoire du Viêt Nam, de la Somalie, de l'Afrique du Sud et de l’Algérie », dit-il « En fin de compte, on n’a pas affaire à des ONG bisounours qui viennent dire : “Excusez-nous de vous avoir dérangés pendant quelques années et maintenant on s’en va, s'il vous plaît pardonnez-nous”. Ce sont des forces tellement brutales et sanguinaires qu'elles ne partiront qu'avec les mêmes outils que ceux qu'elles utilisent ».
Hamad et d'autres responsables politiques du Hamas ont déclaré que, bien qu'ils aient participé aux réunions stratégiques organisées à Gaza avant les attaques, la plupart d'entre eux n'étaient pas au courant des détails opérationnels ni du calendrier des opérations. « Il existe un groupe spécial dirigé par Sinwar, qui a pris la décision du 7 octobre. Il s'agit d'un cercle très étroit. Nous ne savions rien de tout ça. Nous avons été surpris par le 7 octobre ».
La ville de Gaza lors d'une frappe aérienne israélienne le 9 octobre 2023. Photo : Mahmud Hams/AFP via Getty
Une débâcle surprenante
Avant le 7 octobre, les perspectives d'un État palestinien étaient de plus en plus minces. Les conditions de vie à Gaza étaient désastreuses et aucun signe d'amélioration n'était perceptible en raison du blocus israélien intense et du manque d'intérêt de la part du monde. D'après certains sondages, les habitants de la bande de Gaza attribuaient de plus en plus la responsabilité de leur misère au Hamas, l'un des principaux objectifs de la stratégie de punition collective d'Israël. Les Etats-Unis étaient à la tête d'une série d'initiatives diplomatiques visant à normaliser les relations entre Israël et les États arabes. Les accords d'Abraham, lancés sous la présidence de Donald Trump, ont effectivement supprimé la question de l'autodétermination palestinienne comme condition de la normalisation, ce qui constituait une victoire majeure pour Israël. Les provocations et les attaques israéliennes contre les fidèles d'Al-Aqsa devenaient régulières.
Israël progressait de manière agressive dans l'annexion de terres palestiniennes et des colons armés menaient des actions paramilitaires meurtrières, souvent avec le soutien ou la facilitation du gouvernement, contre des fermes et des maisons palestiniennes dans les territoires occupés depuis1967.
L'Autorité palestinienne (AP) en Cisjordanie était largement méprisée pour sa corruption et sa collaboration avec Israël, y compris à travers les actions brutales de ses forces de sécurité soutenues par les Etats-Unis. L'AP, souvent qualifiée de sous-traitant de l'occupation israélienne, arrête régulièrement des dissidents, des syndicalistes et des journalistes, en plus des personnes qu'Israël a identifiées comme présentant un risque pour sa sécurité.
Le Hamas voulait briser le statu quo à Gaza, se positionner comme le défenseur du peuple palestinien et ouvrir la voie à un nouvel alignement du pouvoir politique pour remplacer ce qu'il considérait comme le régime de Vichy du chef de l'Autorité palestinienne, Mahmoud Abbas. Au plus haut niveau, l'opération Déluge d’Al Aqsa devait être la salve d'ouverture de ce que le Hamas espérait être un moment décisif et historique dans la guerre pour la libération de la Palestine.
Sur le plan tactique, les opérations du 7 octobre ont dépassé les prévisions du Hamas. « Nous avons été très surpris par la rapidité avec laquelle l'une des brigades les plus puissantes de l'armée israélienne — la brigade de Gaza est l'un des groupes les plus forts et les plus sophistiqués de l'armée — s'est effondrée en quelques heures sans aucune résistance sérieuse, et par le fait que même l'État dans son ensemble, pendant des heures, voire des jours, a continué à être paralysé, n'a pas été en mesure de répondre de manière professionnelle », a déclaré Naïm, le membre du bureau politique du Hamas.
« Ils ont réussi à créer cette image d'une armée invaincue, invincible, de soldats invincibles, du bras long d'Israël, qui peut frapper partout et revenir se détendre dans un café de Tel-Aviv, comme ils l'ont fait en Irak, en Syrie, au Liban, partout. Je pense que cela a montré que [la réputation autoproclamée d'Israël] ne reflétait pas la réalité » Les attaques, a-t-il ajouté, ont montré aux Palestiniens et à leurs alliés qu' « Israël peut être vaincu et que la libération de la Palestine est une possibilité sérieuse ».
« Il n'y avait absolument aucun contrôle de l'espace de combat. Il n'y avait aucun contrôle de cette zone ».
Neuf mois après les attaques, Israël est toujours en état de choc et incrédule face à l'incapacité totale de son armée et de ses services de renseignement à protéger les zones les plus vulnérables du pays.
« Le Hamas a gagné la guerre le 7 octobre. Le fait qu'il ait pu conquérir des parties d'Israël et tuer autant d'Israéliens... », a déclaré Gershon Baskin, un négociateur israélien expérimenté en contact régulier avec des éléments du Hamas. « Ils ont détruit le système de surveillance électronique d'Israël avec des drones que l'on peut acheter sur Amazon et des grenades. Ils ont détruit les systèmes de communication interne d'Israël dans les kibboutzim tout autour de la bande de Gaza. Ils étaient tellement plus sophistiqués qu'Israël ».
Le Hamas « n'a jamais imaginé qu'il n'y aurait pas d'armée israélienne lorsqu'il a franchi la frontière israélienne », dit Baskin. « L'un des dirigeants du Hamas m'a dit : “Si nous avions su qu'il n'y aurait pas d'armée, nous aurions envoyé 10 000 personnes et conquis Tel Aviv”. Et ils n’ont pas tort. Ils n'avaient pas d'armée sur place et lorsqu'ils ont découvert le festival de musique [Nova], dont ils ignoraient l'existence, ils se sont livrés à une véritable folie meurtrière ».
« L’ordre était le suivant : “Pas un seul véhicule ne doit retourner à Gaza.” À ce stade, Tsahal ne connaissait pas l’ampleur des enlèvements le long de la frontière de Gaza, mais savait que de nombreuses personnes étaient concernées. La signification de ce message et le sort réservé à certains des Israéliens enlevés étaient donc parfaitement clairs. »
« Il y a eu une hystérie démente et des décisions ont été prises sans informations vérifiées. » Des documents et des témoignages obtenus par Haaretz révèlent que l’ordre opérationnel Hannibal, qui ordonne l’utilisation de la force pour empêcher la capture de soldats, a été utilisé le 7 octobre.
Voir La vérité sur le 7 octobre : Tsahal a déclenché la directive Hannibal (Haaretz)
Khalidi pense également que le Hamas n'était pas préparé à son propre succès opérationnel le 7 octobre. « Je ne pense pas qu'ils s'attendaient à ce que la division de Gaza s'effondre. Je ne pense pas qu'ils s'attendaient à envahir une douzaine ou plus de colonies frontalières. Je ne pense pas qu'ils s'attendaient à ce que des milliers et des milliers de Gazaouis sortent de la prison qu'Israël a créée et kidnappent des Israéliens. Je ne pense pas qu'ils s'attendaient au genre de tueries qui ont eu lieu dans ces colonies frontalières. Je ne pense pas que tout cela ait été planifié, franchement », m'a-t-il dit. « Il n'y avait absolument aucun contrôle de l'espace de combat. Il n'y avait aucun contrôle de cette zone. L'armée israélienne a mis quatre jours pour réoccuper chaque position militaire, chaque village frontalier. Il y a donc eu deux jours, trois jours, parfois plus, pendant lesquels le chaos était total. Je suis sûr que des choses horribles se sont produites ».
Le Hamas a toujours nié les allégations selon lesquelles ses combattants auraient intentionnellement tué des civils le 7 octobre. Dans un manifeste publié le 21 janvier et intitulé « Pourquoi l’Opération Déluge d’Al Aqsa ? Notre vision des choses » le Hamas a tenté d'expliquer l'opération, bien que le document ait consisté principalement en des griefs généraux. Parmi les objectifs tangibles des attaques en Israël, le Hamas a déclaré que ses combattants avaient « ciblé les sites militaires israéliens et cherché à capturer les soldats de l'ennemi pour faire pression sur les autorités israéliennes afin qu'elles libèrent les milliers de Palestiniens détenus dans les prisons israéliennes dans le cadre d'un accord d'échange de prisonniers ».
« Il est possible que des erreurs se soient produites lors de la mise en œuvre de l'opération Déluge d'Al-Aqsa, en raison de l'effondrement rapide du système sécuritaire et militaire israélien et du chaos provoqué le long des zones frontalières avec Gaza », poursuit le communiqué. Sinwar aurait reconnu auprès de ses camarades, après le 7 octobre, que « les choses ont échappé à tout contrôle » et que « des gens ont été pris dans l'engrenage, ce qui n'aurait pas dû se produire ».
Mouin Rabbani a déclaré qu'il était indéniable que le Hamas avait tué des civils lors des attaques du 7 octobre et a exprimé de sérieux doutes quant à la position officielle du groupe selon laquelle le Déluge d'Al-Aqsa visait uniquement l'armée israélienne. « Le Hamas a déjà commis des attentats suicides contre des bus civils, des restaurants, etc. pendant la seconde Intifada », remarque-t-il. M. Rabbani se souvient avoir lu des comptes-rendus des attaques du 7 octobre et avoir regardé des vidéos de ce jour-là montrant des civils israéliens tués ou capturés. « J'ai d'abord pensé qu'il s'agissait probablement de personnes qui avaient souffert toute leur vie à Gaza, qui ne s'attendaient pas à repartir vivantes et qui voulaient mourir en fanfare. Je suis sûr que c'est l'explication pour certains de ces cas », affirme-t-il.
« Mais je me demande également dans quelle mesure cela était prémédité. Je serais très intéressé de savoir dans quelle mesure le Hamas avait l'intention d'infliger un coup terriblement traumatisant à la société israélienne, et pas seulement à l'armée israélienne », ajoute-t-il. « Il y a des preuves à l'appui. Il y a aussi des preuves qui le contredisent. Mais je pense que c'est une question qui mérite d'être examinée plus en détail ».
Le discours entourant l'assassinat de civils israéliens le 7 octobre a été un élément central dans la formation de l'opinion publique sur la guerre. « La rage qui règne en Israël est due en grande partie au nombre très élevé de civils tués », a déclaré M. Khalidi. « La guerre entraîne la mort de civils, mais ce chiffre dépasse de loin ce qui aurait pu ou dû être acceptable en toutes circonstances, et cela est également imputable aux planificateurs de l'opération. Je pense que c'est une chose difficile à dire, mais je pense que c'est quelque chose qui doit être dit ».
Voir, en lieu et place de ces lâches contorsions :
Haaretz : le 7 octobre, un hélicoptère Apache israélien a tué de nombreux civils à la rave party (19 novembre)
Le 7 octobre, Israël a mis en œuvre une ‘directive Hannibal de masse’ (8 décembre)
Pourquoi les médias ignorent-ils les preuves que les massacres du 7 octobre ont été perpétrés par Israël ? (26 décembre)
Les familles des Israéliens tués par leur propre armée le 7 octobre demandent une enquête (9 janvier)
L'agence israélienne de sécurité sociale a établi le bilan officiel du 7 octobre à 1 139 morts. Parmi les personnes tuées, 695 étaient des civils israéliens, 71 des civils étrangers et 373 des membres des forces de sécurité israéliennes. Aussi horrible que soit le bilan des victimes civiles du 7 octobre, le message des responsables américains et israéliens était et reste ferme : les vies israéliennes ont une valeur exponentielle, elles valent bien plus que celles des Palestiniens.
Le Hamas a déclaré que ses forces visaient les bases militaires et les colonies illégales, qualifiant le meurtre de civils dans les kibboutzim de dommages collatéraux dans des batailles contre des colons armés « enregistrés comme civils alors qu'il s'agissait en fait d'hommes armés combattant aux côtés de l'armée israélienne ». Les responsables du Hamas ont laissé entendre que bon nombre des civils israéliens dont la mort a été confirmée ont été tués lors de tirs croisés, d'incidents de “tirs amis”, ou ont été tués intentionnellement par l'armée israélienne pour éviter qu'ils ne soient ramenés vivants à Gaza. « S'il y a eu des cas de ciblage de civils », affirme le Hamas dans son manifeste, « cela s'est produit accidentellement et au cours de la confrontation avec les forces d'occupation ».
Mme Abulhawa a accusé les gouvernements israélien et américain d'avoir lancé une campagne de propagande coordonnée au lendemain du 7 octobre afin de déshumaniser les Palestiniens et d'avoir réussi à faire passer les combattants du Hamas pour des monstres bestiaux qui tuent pour le plaisir de tuer. Elle a cité un grand nombre d'histoires horribles de crimes sadiques prétendument commis par des combattants du Hamas, y compris la décapitation de bébés, qui ont été lancées par des responsables israéliens et américains, y compris Biden, pour être ensuite démenties par des journalistes et des chercheurs indépendants.
« Ils ont dit qu'ils avaient décapité des bébés, qu'ils avaient éviscéré une femme enceinte, qu'ils avaient brûlé un bébé dans un four, des actes de violence vraiment horribles qui semblaient tout simplement diaboliques et gratuits pour tuer des Juifs. C'était le récit’, dit-elle. « Il n'y avait là pas même une graine de vérité ».
Naïm, du Hamas, a attribué aux attaques du 7 octobre et aux neuf mois d'insurrection armée contre les forces d'invasion israéliennes le mérite d'avoir placé le sort de la libération palestinienne au centre de l'attention mondiale. « Ce soutien populaire partout dans le monde, en particulier aux Etats-Unis et en Europe, croyez-vous que cela se produirait par le biais d'un atelier à Washington, D.C., pour discuter entre Palestiniens et Américains de la manière de gérer les points de passage de Rafah ? Malheureusement, c'est la voie à suivre. Il n'y a pas d'autre solution ».
Hamad m'a dit qu'aucune des personnes impliquées dans la planification des attaques du 7 octobre avec lesquelles il s'est entretenu n'avait prévu l'ampleur de la réponse d'Israël et que de nombreux dirigeants du Hamas s'attendaient à une version plus intense et plus longue des précédentes attaques israéliennes contre Gaza. « C'est un point très sensible », a-t-il déclaré. « Personne ne s'attendait à une telle réaction de la part d'Israël, car ce qui s'est passé à Gaza, c'est la destruction totale de Gaza, la mort d'environ 40 000 personnes, la destruction de toutes les institutions, des hôpitaux et de tout le reste. Je sais que la situation est horrible à Gaza. C'est très, très difficile. Et nous aurons besoin d'au moins dix ans pour reconstruire Gaza ».
« Cette guerre est totalement différente », dit Hamad. « Totalement différente ».
Dilemme des prisonniers
Les médiateurs internationaux ont relancé les négociations entre le Hamas et Israël et il semblerait qu'un accord progressif se profile à l'horizon, même si le cessez-le-feu permanent exigé par le Hamas semble peu probable. « Le principal problème est que le Hamas ne conclura pas d'accord sans mettre fin à la guerre et qu'Israël ne conclura pas d'accord qui mette fin à la guerre », m'a dit M. Baskin.
Israël a insisté pour que le Hamas soit désarmé et pour que le groupe soit empêché de participer à la gouvernance de Gaza après la guerre. Le Hamas a maintenu qu'il resterait une force politique ayant le droit de se défendre par les armes contre l'occupation israélienne. « Les Etats-Unis doivent comprendre, et c'est très important, que le Hamas fera partie de la scène palestinienne », dit Hamad. « Le Hamas ne sera pas expulsé. Le Hamas a créé le 7 octobre et a créé cette histoire ».
Selon un membre de l'équipe de négociation du Hamas, les représentants palestiniens ont constaté que les médiateurs américains étaient de plus en plus frustrés par la partie israélienne. « Chaque fois qu’ [Israël] a besoin de quelque chose, ils appellent le baby-sitter. Les Etats-Unis en ont maintenant assez du comportement israélien », dit le représentant du Hamas, qui a demandé à rester anonyme. « Ils ont peur que cette guerre s'étende à d'autres régions et veulent donc contrôler Netanyahou et sa folie. Ils essaient de faire pression sur Israël pour qu'il accepte ce cessez-le-feu. Ils essaient, mais je pense que jusqu'à présent, ils n'ont pas utilisé toutes les cartes pour pousser Israël. Je pense que c'est comme leur enfant gâté ». Le négociateur du Hamas m'a dit qu'il avait l'impression que « les Etats-Unis essaient de traiter avec douceur avec Israël, d'exercer une pression, mais pas de les acculer au pied du mur. C'est pour cette raison qu'il y a maintenant un grand conflit et un différend entre Israël et les Etats-Unis ».
De tous les objectifs des attaques du 7 octobre, celui dont le Hamas était le plus convaincu qu'il donnerait des résultats concrets était la libération des Palestiniens des prisons israéliennes. Selon les chiffres israéliens, plus de 240 personnes, dont des soldats et des civils israéliens ainsi que des étrangers, ont été ramenées à Gaza lors des attaques menées par le Hamas.
Yahya Sinwar a toujours donné la priorité à la libération des prisonniers palestiniens. C'est ainsi qu'il a obtenu sa propre liberté en 2011, dans le cadre d'un échange qui a vu Sinwar et plus de 1 000 autres Palestiniens libérés des prisons israéliennes en échange d'un seul soldat israélien, Gilad Shalit. « Ce n'est pas une question politique, pour moi c'est une question morale », a-t-il déclaré en 2018. « Je ferai plus que mon possible pour libérer ceux qui sont encore enfermés ».
Naïm a déclaré qu'Israël s'est toujours montré disposé à payer un prix élevé pour le retour de ses soldats, y compris en libérant des Palestiniens qu'il qualifie de terroristes. « Certains d'entre eux sont maintenant [en prison] depuis plus de 44 ou 45 ans », a-t-il déclaré. « Ils ont également exercé une forte pression sur les dirigeants pour qu'ils fassent quelque chose. Mais, trois semaines après le début de la guerre, lorsque Sinwar a officiellement proposé un accord global visant à libérer « tous les prisonniers palestiniens des prisons israéliennes en échange de tous les prisonniers détenus par la résistance palestinienne », Israël l'a rejeté.
Baskin a servi de négociateur de paix de l'ombre avec diverses factions palestiniennes. Il a joué un rôle central dans la négociation de l'accord Shalit et a continué à travailler en coulisses sur la question des otages depuis le 7 octobre. Selon lui, le Hamas savait que la seule chance de libérer les “impossibles” — les prisonniers palestiniens de grande valeur, y compris ceux qui ont été condamnés pour avoir tué des Israéliens — serait de prendre en otage un grand nombre de membres du personnel militaire.
« En échange des soldats [israéliens], ils voulaient libérer tous les prisonniers palestiniens en Israël, ceux qui purgeaient des peines d'emprisonnement à perpétuité », explique M. Baskin. « À l'époque, 559 Palestiniens étaient condamnés à la perpétuité. C'était leur principal objectif, les libérer tous ».
Finalement, sous la pression nationale et internationale, M. Netanyahou a accepté un échange limité. Au cours d'une brève trêve en novembre dernier, le Hamas a libéré 105 otages civils israéliens en échange de 240 Palestiniens, principalement des femmes et des enfants, retenus en captivité par Israël. « Le Hamas a conclu un accord rapide avec les Israéliens », a déclaré M. Baskin. « Il s'agissait de trois prisonniers pour chaque otage. Je pense que c'était un prix étonnamment bas ».
Ghazi Hamad, le responsable du Hamas qui a travaillé avec Sinwar, a insisté sur le fait que le Hamas n'avait pas l'intention de prendre des civils israéliens en otage. « Ce que nous avions prévu était juste à des fins militaires, juste pour détruire cette partie de l'armée israélienne qui contrôle la situation à Gaza et pour prendre des otages de l'armée — des soldats - afin de faire une sorte d'échange », a-t-il déclaré. « Je ne nie pas que certaines personnes ont commis des erreurs, mais je parle de la décision du Hamas, de la politique du Hamas ».
Baskin m'a dit qu'il était immédiatement clair que le Hamas ne s'était pas préparé à détenir autant de civils et qu'il avait été pris au dépourvu lorsque d'autres groupes et individus palestiniens qui ont afflué en Israël ce jour-là ont pris un grand nombre d'otages, y compris des personnes âgées et des enfants. « Ils ont fini par simplement ramener les gens à Gaza sans penser à la logistique, au prix qu'ils voulaient pour eux », a déclaré M. Baskin. « Dès le quatrième jour de la guerre, j'ai parlé au Hamas d'un accord pour les femmes, les enfants, les personnes âgées et les blessés, que je considérais comme le fruit le plus facile à cueillir, car le Hamas n'aurait pas été en mesure de s'occuper d'eux. Ils voulaient s'en débarrasser ».
Israël a utilisé les otages civils comme principale justification de la poursuite du siège. M. Hamad a confirmé que les négociations avaient commencé presque immédiatement après les attaques du 7 octobre. Il m'a dit que « dès la première semaine, nous avons parlé à certaines personnes, à certains médiateurs, que nous voulions rendre les civils, mais Israël a refusé ».
Hamad a ajouté que le Hamas avait informé les médiateurs internationaux en novembre dernier qu'il s'efforçait de retrouver d'autres otages civils pris par d'autres groupes ou individus afin de pouvoir les restituer à Israël. « Nous leur avons demandé de nous donner le temps de rechercher ces personnes », a déclaré M. Hamad. « Mais Israël ne nous a pas écoutés et a continué à tuer des gens. »
Selon les négociateurs du Hamas, l'un des principaux points de désaccord dans les négociations actuelles est le refus persistant d'Israël de libérer les Palestiniens qu'il qualifie de terroristes ayant « du sang juif sur les mains ».
Le Hamas a insisté sur le fait que si Israël veut que ses soldats reviennent, il doit libérer les combattants de la résistance palestinienne, y compris ceux qui ont été condamnés pour avoir tué des Israéliens. Lors des négociations, Israël a insisté pour conserver son droit de veto sur la liste des prisonniers palestiniens que le Hamas souhaite voir libérés dans le cadre d'un accord.
Les négociateurs du Hamas m'ont dit que le fait que leurs forces aient réussi à maintenir une insurrection armée de neuf mois contre Israël à Gaza, bien qu'elles soient dépassées et soumises à des attaques à grande échelle avec des armes puissantes fournies par les Etats-Unis, a envoyé aux négociateurs le message que le Hamas a ses propres lignes rouges. « Neuf mois se sont écoulés et notre résistance n'a pas été épuisée, elle ne s'est pas relâchée, elle ne s'est pas calmée », a déclaré le porte-parole des Brigades Izzedine Al Qassam, connu sous le nom de guerre d'Abou Obeida, dans un message audio diffusé le 7 juillet. « Nous continuons à nous battre à Gaza sans soutien ni approvisionnement extérieur en armes et en matériel, et notre peuple persévère sans nourriture, sans eau ni médicaments, dans le cadre d'une guerre génocidaire criminelle et injuste ».
Le week-end dernier, Netanyahou a publié une liste de ce qu'il a appelé les « éléments non négociables » de tout accord avec le Hamas. Il s'agit notamment d'empêcher la contrebande d'armes depuis l'Égypte, de restituer un nombre maximum de captifs israéliens vivants détenus à Gaza et d'empêcher les combattants du Hamas de retourner dans le nord de la bande de Gaza. L'aspect le plus controversé de la liste de Netanyahu est son insistance sur le fait qu'Israël se réserve le droit de reprendre sa guerre à grande échelle à Gaza, une clause que le Hamas a toujours rejetée.
Hamad pense que les médiateurs, y compris ceux des Etats-Unis, sont conscients que Netanyahou considère que la poursuite de la guerre est liée à sa propre survie politique. Alors qu'un accord préliminaire pourrait être conclu pour un nouvel échange de captifs, Netanyahou a réitéré son vœu de détruire militairement le Hamas. « Il veut prouver qu'il [poursuit la guerre] afin d'atteindre ses grands objectifs ou ce que l'on appelle la “victoire totale” à Gaza. Mais je pense qu'il n'a pas réussi à convaincre la communauté israélienne, les partis israéliens et ses partenaires de la coalition", dit M. Hamad. « Chaque jour où il perd des soldats et des chars, quelle est la grande réussite de Netanyahou ? Il tue des civils. Je pense donc que les négociations sont bloquées sur ce point, qu'il n'y a pas de sérieux, ni de volonté ferme du côté israélien de parvenir à un accord avec le Hamas ».
« Si l'on examine le texte des deux côtés, il est facile de combler les lacunes. Israël travaille très dur pour ne pas parvenir à un accord, car je pense que cet accord démantèlera la coalition en Israël. Je pense que ce sera la fin de la carrière politique de Netanyahou ».
Un chauffeur de tuktuk se précipite pour transporter des blessés après un bombardement israélien dans le camp de réfugiés d'al-Bureij, dans le centre de la bande de Gaza, le 8 juillet 2024. Photo : Eyad Baba/AFP via Getty.
Un statu quo insoutenable
Les attaques du 7 octobre sont souvent présentées par les dirigeants américains comme ayant eu lieu dans un vide historique — une réalité alternative où le Hamas, sans provocation, a anéanti la paix. Mais pour la population de Gaza, il n'y a pas eu de véritable paix. Pendant 76 ans, seule une parcelle de liberté a existé et, pendant la majeure partie des deux dernières décennies, elle s'est limitée à l'imagination d'un peuple confiné dans une prison à ciel ouvert entourée par les bases militaires de l'occupation et parsemée de communautés fermées abritant des Israéliens qui profitent de la vie dans un cadre bucolique.
Dans les années qui ont précédé les attaques du 7 octobre, sous les présidents Trump et Biden, le Hamas a vu Israël s'enhardir au fur et à mesure que les perspectives de libération palestinienne s'éloignaient dans les notes de bas de page des initiatives menées par Washington visant à normaliser les relations entre Israël et les pays arabes comme l'Arabie saoudite, le Qatar et les Émirats arabes unis. La position de Netanyahou était la suivante : « Nous ne devons pas donner aux Palestiniens un droit de veto sur les nouveaux traités de paix avec les États arabes ».
Deux semaines seulement avant les attaques du 7 octobre, le Premier ministre israélien a prononcé un discours devant l'assemblée générale des Nations unies à New York, brandissant une carte de ce qu'il promettait être le “nouveau Moyen-Orient”. Cette carte représentait un État d'Israël s'étendant sans interruption du Jourdain à la mer Méditerranée. Gaza et la Cisjordanie, en tant que terres palestiniennes, étaient effacées.
Dans de ce discours, Netanyahou a présenté la normalisation complète des relations avec l'Arabie saoudite comme le pivot de sa vision de cette “nouvelle” réalité, qui ouvrirait la porte à un « corridor visionnaire qui s'étendra à travers la péninsule arabique et Israël. Il reliera l'Inde à l'Europe par des liaisons maritimes et ferroviaires, des pipelines énergétiques et des câbles à fibres optiques.
Le Hamas a suivi ces développements avec attention et a considéré comme une menace existentielle les mesures prises par les Etats-Unis pour contourner une résolution palestinienne dans le cadre de leur campagne de normalisation. « Si l'Arabie saoudite a signé, cela signifie que toute la région, en ce qui concerne la question palestinienne, s'effondrera. Ce n'est pas un plan. Ce n'est pas un processus de paix. Il s'agit d'une intégration d'Israël dans le nouveau Moyen-Orient. Ils ont commencé à parler de l'OTAN au Moyen-Orient », a déclaré M. Naim. « C'est un coup d'État contre l'héritage, l'histoire, les valeurs de cette région et contre l'avenir, tout cela ensemble ».
Selon Abulhawa, « le statu quo était insoutenable et intenable, en particulier lorsque les dirigeants arabes ont commencé à normaliser et qu'il était écrit sur le mur que nous allions disparaître et être totalement détruits" »
Si la vision de Netanyahou d'une nouvelle route de la soie à travers un Moyen-Orient sans la Palestine est certainement préoccupante, M. Rabbani doute que le Hamas ait cru pouvoir faire dérailler les accords d'Abraham. L'impact souhaité, selon lui, était probablement d'envoyer un message au public arabe sur la complicité de leurs dirigeants dans l'écrasement des aspirations palestiniennes alors qu'ils établissaient des accords avec Israël. « Si l'on examine l'histoire des accords de normalisation israélo-arabes, le sang palestinien ne les a jamais compromis », constate M. Rabbani. « Lorsque les Palestiniens observent la région, ils se sentent véritablement abandonnés par leurs propres dirigeants, par ceux qu'ils considèrent comme leurs alliés naturels et leurs champions naturels, et par la communauté internationale dans son ensemble ».
Les pays arabes doivent « jouer cette sorte de jeu d'équilibriste entre ne pas contrarier leur population intérieure et se montrer juste assez critique à l'égard du régime israélien" » analyse Mme Hawari, analyste politique à Al-Shabaka, ajoutant qu'elle n'attendait pas de ces régimes despotiques qu'ils défendent les Palestiniens. « Je pense que les Saoudiens exigeront certaines conditions, non pas parce qu'ils croient fermement à la souveraineté palestinienne, mais parce qu'ils savent que la Palestine est toujours une cause populaire en Arabie saoudite ».
Mme Abulhawa a dit qu'elle comprenait la valeur de la quête visant à comprendre pleinement les motivations et les objectifs spécifiques des opérations du Hamas le 7 octobre, mais qu'il était essentiel de considérer ces opérations comme une conséquence logique de l'histoire. « Pendant des décennies, les Palestiniens ont tenté par tous les moyens de se débarrasser de cette oppression, de ce colonisateur violent et implacable. Cela devait donc arriver tôt ou tard. Il était inévitable que quelque chose se produise, en particulier à Gaza », a-t-elle ajouté.
« Si l'on remonte aux années 1940, après la Nakba, il y a eu une dizaine d'années pendant lesquelles les Palestiniens n'ont fait que plaider auprès des organismes internationaux, allant d'un endroit à l'autre, essayant de négocier pour obtenir justice, essayant de rentrer chez eux, essayant de trouver un moyen. Et il n'y avait aucun mouvement. Nous n'avions aucune importance. Personne ne nous reconnaissait. Ce n'est que lorsque les Palestiniens ont eu recours à la résistance armée que le monde a fini par admettre qu'il s'agissait d'une population indigène qui existait bel et bien. Ce n'est que lorsque nous avons commencé à détourner des avions et à recourir à la guérilla dans l'esprit des mouvements de guérilla de gauche de l'époque qu'il y a eu un mouvement vers la libération ».
C'est cette résistance armée qui a créé l'espace nécessaire aux négociations de paix entre Yasser Arafat, de l'Organisation de libération de la Palestine, et le Premier ministre israélien Yitzhak Rabin, que de nombreux dirigeants occidentaux ont salué comme une percée. Les accords d'Oslo signés en 1993 et 1995, sous l'égide de l'administration Clinton, ont été contestés non seulement par le Hamas, le Jihad Islamique et d'autres factions de la résistance armée, mais aussi par d'éminents intellectuels. « Appelons l'accord par son vrai nom : un instrument de capitulation palestinienne, un Versailles palestinien », écrivait Edward Saïd dans un essai prémonitoire publié en 1993 dans la London Review of Books. « Il semblerait donc que l'OLP ait mis fin à l'Intifada, qui incarnait non pas le terrorisme ou la violence, mais le droit des Palestiniens à résister, même si Israël continue d'occuper la Cisjordanie et la bande de Gaza ».
Ces accords ont conduit à la création de l'Autorité palestinienne et au concept d'autonomie palestinienne limitée, intégré dans la toile du régime d'apartheid israélien qui a mis en œuvre le statu quo d'avant le 7 octobre.
Au lendemain d'Oslo, le Hamas et le Jihad islamique palestinien se sont engagés dans des campagnes périodiques de lutte armée contre Israël, notamment par le biais d'attentats-suicides et d'attaques contre des civils.
Ces campagnes ont culminé avec le lancement de la deuxième Intifada en septembre 2000, qui a duré plus de quatre ans. Les Brigades des martyrs d'Al-Aqsa, un réseau de forces paramilitaires alignées sur le mouvement Fatah d'Arafat, se sont jointes au soulèvement armé. Au cours des deux décennies qui ont suivi l'Intifada, la résistance armée a surtout consisté en des tirs de roquettes intermittents lancés par le Hamas et le Jihad Islamique depuis Gaza et en des attaques occasionnelles à petite échelle contre des Israéliens.
L'ère post-intifada, marquée par une confrontation armée largement symbolique avec Israël, s'est déroulée au milieu d'un désert politique où l'Autorité palestinienne, Israël et la communauté internationale au sens large, sous la houlette des Etats-Unis, ont présidé au déclin du rêve de l'autodétermination palestinienne. Selon Naïm, « après Oslo, on peut parler d'un parcours politique désastreux. Après 30 ans, la Cisjordanie est annexée. Jérusalem est en grande partie judaïsée. Al-Aqsa est presque totalement contrôlée. Gaza est totalement séparée, isolée et assiégée depuis 17 ans, un siège étouffant ».
Israël est passé maître dans l'exploitation du spectre de la résistance armée palestinienne pour justifier ses propres guerres de conquête et d'anéantissement. Et il l'a fait avec le soutien des Etats-Unis et le refus des administrations successives d'appliquer le droit international à Israël ou de respecter les résolutions de l'ONU.
« Le problème que l'Occident rencontre avec la résistance palestinienne n'est pas le terrorisme. Ce n'est pas le fait de prendre des civils pour cible. Ce n'est pas la résistance armée. C'est la résistance tout court », dit Rabbani. « Qu'il s'agisse de massacrer des civils, de frapper avec succès des cibles militaires, de mobiliser la population ou de mener des campagnes de boycott, il n'y a pas une seule forme de résistance palestinienne que l'Occident soit prêt à accepter ».
Les attaques du 7 octobre et la guérilla qui s'en est suivie à Gaza contre l'armée israélienne ont incontestablement renforcé la position politique du Hamas auprès de nombreux Palestiniens. Toutefois, ce soutien ne se traduira pas nécessairement par une victoire politique et électorale à terme. « Alors qu'ils sont clairement dans une position plus forte politiquement que l'AP, qui est considérée comme un sous-traitant de l'occupation et comme épuisée, corrompue et honnie par la plupart des Palestiniens, cela ne signifie pas qu'il n'y a pas de critiques que beaucoup de gens ne sont pas prêts à exprimer en ce moment parce qu'ils tiennent tête aux Israéliens », d’après Khalidi. « Leur résistance, le fait qu'ils continuent à se battre contre les Israéliens, d'une part, réconforte beaucoup de Palestiniens, en particulier ceux qui vivent loin de Gaza. D’un autre côté, ce qui est arrivé à la population de Gaza ne réjouit pas beaucoup de Palestiniens, en particulier ceux qui vivent à Gaza.
Rabbani reconnaît qu'il est impossible de prévoir comment les habitants de Gaza jugeront en fin de compte la responsabilité du Hamas dans la dévastation apocalyptique qu'ils ont subie. « Je pense qu'il y aura également de nombreux Palestiniens qui diront : “D'accord, la bande de Gaza a été réduite à des décombres. Vous avez laissé la population de la bande de Gaza sans défense et sujette à un génocide. Et oui, c'est Israël qui l’a fait. Israël est responsable. Mais c'est aussi de votre faute ». Dans le même temps, M. Rabbani estime que les attaques du 7 octobre représentent un chapitre historique dans la cause de la libération palestinienne et les compare à d'autres moments cruciaux des luttes anticoloniales en Afrique du Sud et au Viêt Nam, qui se sont soldées par un nombre important de morts parmi les civils. « On ne peut nier les conséquences catastrophiques de ces événements. Mais j'ai le sentiment que les changements à long terme — bien sûr sans essayer en aucune façon de minimiser les dommages extrêmement insupportables qui ont été infligés à tout un peuple — seront finalement considérés comme un tournant critique semblable à Sharpeville, Soweto, Dien Bien Phu ».
Mme Abulhawa a déclaré qu'au cours de ses voyages à Gaza, elle s'est entretenue avec des personnes sur la manière dont elles considéraient le Hamas et a rencontré ce qu'elle a décrit comme des perspectives complexes, nuancées et parfois contradictoires. « Le traumatisme est profond. Les gens vous diront deux choses contradictoires dans le même souffle. D'une part, ils sont en colère. Parfois, certains accusent le Hamas, mais tout le monde sait qui les bombarde. Tout le monde ».
Cet article est le premier d'une série d'articles explorant le point de vue du Hamas et du Jihad islamique palestinien. Ne manquez pas les prochains.
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